[Blog] Révolution digitale : quelles répercussions pour la société ? (2022)

Conférence donnée le 18 mai à Lille pour l’association Retraite et Bénévolat

 

Monsieur le Président, cher Etienne, Mesdames, Messieurs,

Je suis ravi d’être avec vous ce soir. Le sujet de ma conférence a été amicalement imposé par votre cher président, sujet qui fait partie néanmoins de mes centres d’intérêt, à savoir le digital et ses répercussions sur la société.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, je voudrais souligner les trois premières révolutions industrielles. La première qui se situe entre 1760 et 1840 a été déclenchée par l’invention de la machine à vapeur. Elle a vu la construction des chemins de fer. C’est ainsi qu’en 1825, un ingénieur britannique attacha une machine à vapeur à un train de wagons de mines pleins de charbon. La machine tira les wagons sur 20 km de rails de la mine jusqu’au port le plus proche. La première locomotive à vapeur de l’histoire était née. La conclusion fût rapide : si on pouvait utiliser la vapeur pour transporter du charbon, pourquoi ne pas l’utiliser pour d’autres biens ou même des personnes. Le 15 septembre 1830, la première ligne ferroviaire commerciale reliant Liverpool et Manchester vit le jour. Vingt ans plus tard, la Grande-Bretagne avait plusieurs dizaines de milliers de kilomètres de voies ferroviaires. Cette première révolution fût aussi l’ère de la production mécanisée.
La deuxième révolution industrielle couvre la fin du XIXème siècle et le début du XXème. La convergence entre le moteur à combustion interne et le réseau électrique permet une communication plus rapide dans tous les domaines. Cela a pour conséquence l’électrification des usines qui permet une production de masse à bas prix. Les lignes téléphoniques s’étendent puis la radio et la télévision refondent la vie sociale sur d’autres modèles de communication et d’échanges. Ce que la première révolution industrielle avait fait pour les chemins de fer, la deuxième le fait avec des routes et des autoroutes qui permettent une circulation des voitures entrainant une nouvelle façon de vivre : les familles déménagent vers les banlieues, dans des lotissements construits en milieux naturels. Ce modèle se base principalement sur le pétrole, l’industrie pétrolière s’emballe et explore toujours plus loin, toujours plus profondément.

D’après Jérémy Rifkin, prospectiviste américain, président de la Fondation On Economic Trends (FOET), la troisième révolution industrielle nait d’une convergence des TIC (Technologie de l’Information et de la Communication) et des énergies renouvelables, propres et sûres. Ce qui est remarquable chez Rifkin, c’est son postulat selon lequel l’empathie est fondamentale dans les relations humaines. Revenons à cette troisième révolution, elle repose d’une part sur la création d’un système distribué de production et de distribution d’énergies renouvelables. Ces énergies (petit éolien, photovoltaïque, géothermique…) seraient produites non pas dans de grandes centrales qui sont sources de dépendance, de risques et de pertes importantes en ligne mais de manière décentralisée, directement sur les constructions. D’autre part, elle repose aussi sur une capacité à stocker une partie de cette énergie sous la forme d’hydrogène notamment, et à la redistribuer par l’intermédiaire d’un réseau intelligent de type Smart Grid. Grâce à ce réseau, il n’y aura aucune émission de gaz à effet de serre.
Toujours d’après Rifkin, le théoricien de la TRI, les cinq piliers de cette dernière, sont :
– La transition d’un régime carboné vers des énergies renouvelables. Certes ces énergies ne constituent qu’une partie faible du bouquet énergétique mais, force est de constater qu’elles se développent vite, que leur coût diminue les rendant de plus en plus compétitives.
– La reconfiguration des infrastructures et des bâtiments en mini centrales électriques collectant in situ des énergies renouvelables. Les percées technologiques permettent déjà la multiplication des bâtiments à énergie positive.
– L’installation dans chaque bâtiment et dans toute infrastructure de la société des moyens de stockage pour conserver l’énergie. Cela garantira la satisfaction de la demande par une offre continue d’électricité verte.
– Le développement des Smart Grids grâce à une technologie connectant les réseaux énergétiques et électriques devenus bidirectionnels.
– La transition des flottes de transport vers des véhicules hybrides ou à piles à combustibles. Chaque véhicule pourra, en se connectant au réseau Smart Grid, acheter ou vendre de l’électricité.

Mesdames, Messieurs,
Entrons dans le vif du sujet et parlons la 4ème RI que d’aucun appelle la révolution digitale. Même s’il y a une école qui défend la thèse qu’il n’y a pas de quatrième révolution industrielle mais que c’est la suite de la troisième, je pense, quant à moi, que nous pouvons, sans trop de soucis, parler d’une quatrième révolution distincte. Je citerai les trois raisons qui renforcent cette vision :
– Rapidité : contrairement aux RI précédentes, celle-ci se déploie à une vitesse exponentielle et non linéaire. Nous vivons dans un monde profondément interconnecté, ce qui a pour conséquence que chaque technologie nouvelle en engendre d’autres encore plus puissantes.
– Ampleur et profondeur : la 4ème RI est à la racine du changement de paradigme, sans précédents, dans le domaine économique et social, dans le monde des affaires mais aussi sur le plan individuel. Ce n’est pas seulement le « quoi » et le « comment » de notre manière de faire qui change mais également « qui » nous sommes.
– Impact systémique : cette révolution implique une transformation des systèmes entiers à travers des pays, des entreprises et tous les pans de la société. Pour vous donner quelques exemples du changement systémique qui est disruptif, en rupture avec l’existant, je vous parlerai d’ Airbnb, Uber, Alibaba, universellement connus et qui étaient quasi inconnus il y a quelques années à peine. iPhone n’a été lancé qu’en 2007. En 2015, on comptait 2 milliards de Smartphones et en 2020, 6,4 milliards. En 2020, 54 % des connexions Internet se faisaient par téléphone alors qu’elles n’étaient que de 44% par lap top et desktop.
Un autre exemple éclairant est la comparaison entre Détroit et la Silicon Valley. En 1990, les trois plus grosses entreprises de Détroit avaient une capitalisation boursière cumulée de 39 milliards de dollars pour un chiffre d’affaires de 250 milliards et avec 1,2 millions de salariés. En 2014, les trois principaux géants de la Silicon Valley (APPLE, Microsoft et GOOGLE) avaient une capitalisation boursière cumulée de 1090 milliards de dollars qui est passée fin 2021 à 7139 milliards de dollars, pour un chiffre d’affaires de 247 milliards mais avec presque 9 fois moins d’employés.
Avec la 4ème RI, nous voyons que l’offre de main d’œuvre et l’offre productive sont affectés par des effets négatifs. Les grands bénéficiaires de la révolution sont les détenteurs du capital intellectuel ou physique (innovateurs et investisseurs). Il faut remarquer aujourd’hui qu’il vaut mieux posséder la plateforme et non le bien dont cette plateforme permet le commerce :
– Uber, la plus grande compagnie de taxis au monde ne possède aucun véhicule.
– Facebook, le plus grand groupe média au monde ne crée aucun contenu.
– Quant à Airbnb, la plus grande entreprise de réservation de logements, elle ne détient aucun bien immobilier.
Essayons de voir à présent les éléments moteurs de cette 4ème révolution. On peut les regrouper en trois ensembles : physique, numérique, biologique, tout en précisant que les interactions entre ces trois ensembles sont profondes, et chacune de ces technologies bénéficie des découvertes des autres.
– Dans le domaine PHYSIQUE, on distingue 4 principales tendances technologiques :
• véhicules autonomes
• impressions en 3D
• robotique de pointe
• nouveaux matériaux
Véhicules autonomes :
La voiture sans conducteur fait, dès à présent, la une de l’actualité. Nous savons que, grâce au progrès des capteurs et de l’IA, les performances de tous les véhicules autonomes s’améliorent rapidement. Je pense, à côté des voitures, aux avions, aux drones, et aux bateaux. Les drones peuvent éviter les lignes électriques et livrer du matériel en zone de conflit. Quant au domaine de l’agriculture, ces mêmes drones, utilisant l’analyse des données, permettent un usage plus efficace des engrais et de l’eau.
Impressions en 3D :
L’impression en 3D consiste à créer un objet à partir d’un modèle numérique en 3D. Elle part d’un matériau liquide ou en poudre pour fabriquer un objet en 3 dimensions. C’est un procédé de fabrication par ajout de matières en couches. Cette technologie est utilisée dans toutes sortes d’applications de la plus grande échelle (les éoliennes) à la plus petite (les implants médicaux). Les chercheurs du MIT travaillent depuis le début des années 2010 sur la « 4D », un procédé qui créera une nouvelle génération de produits dynamiques capables de s’auto-changer en réponse au changement de l’environnement (chaleur, lumière et humidité). Elle servira aussi comme implant conçu pour s’adapter au corps humain.

Robotique de pointe :
Jusqu’il n’y a pas longtemps, l’utilisation des robots était confinée à des tâches étroitement contrôlées et dans des secteurs spécifiques. Aujourd’hui, équipés de capteurs perfectionnés, les robots parviennent à mieux comprendre leur environnement. La toute prochaine génération de robots sera le fruit d’un travail plus approfondi sur la collaboration hommes machines. Cela amènera très certainement une évolution en termes d’emplois, avec ses problèmes d’éthique et psychologiques.
Nouveaux matériaux :
De nouveaux matériaux, aux propriétés inimaginables il y a quelques années, arrivent sur le marché. Ils sont plus légers, plus solides, adaptables et recyclables. Même s’il est difficile de prévoir à quoi aboutiront ces nouveaux matériaux, nous pouvons d’ores et déjà parler des nanomatériaux comme le graphène, matériau miracle, qui est environ 200 fois plus solide que l’acier. Ce matériau a valu à André Geim et Konstantin Novoselov le prix Nobel de physique en 2010. Une fois devenu compétitif (pour l’instant le matériau le plus cher à produire au monde), le graphène pourrait provoquer un bouleversement très important dans les industries manufacturières et les infrastructures. Le coût de fabrication de plaquettes de graphène de taille micronique sur une épaisseur atomique reste encore trop élevé, de 100 à 700 dollars alors qu’elle coutait 1000 dollars en 2015.Par ailleurs d’autres matériaux jouent un rôle majeur dans l’atténuation des risques environnementaux. Ainsi les plastiques thermodurcissables rendent réutilisables des matériaux fortement utilisés et quasi impossibles à recycler. Je pense notamment aux téléphones, aux cartes mères, à l’aérospatiale.
– Dans le domaine NUMERIQUE :

Le principal pont entre les applications numériques et matérielles est l’IoT Internet of Thingsou Internet des Objets. Pour définir simplement l’IdO, je dirais qu’il s’agit d’un réseau de relations entre des objets qui peuvent être des produits, des services, des lieux, et des personnes reposant sur des technologies interconnectées et diverses plateformes. Les capteurs et mille autres manières de connecter des objets physiques aux réseaux virtuels prolifèrent à toute allure. Partout, on intègre des capteurs de plus en plus petits, de moins en moins chers et de plus en plus intelligents, notamment aux logements, aux vêtements, aux villes, aux réseaux de transport et d’énergie ainsi qu’aux procédés de fabrication. Aujourd’hui, des milliards d’appareils, Smartphones, tablettes, sont connectés à internet. Prenons l’exemple du contrôle à distance : une application extrêmement répandue de l’IdO. Tout emballage, palette, container peut être équipé d’un capteur, d’un transmetteur ou d’une puce d’identification par radiofréquence (RFID Radio-Frequency-Identification) permettant à une entreprise de suivre les mouvements sur toute sa chaine logistique ainsi que ses performances. De même, les clients peuvent suivre en temps réel le cheminement de leurs commandes (Amazon). Très certainement, dans un avenir proche, des systèmes de suivi seront utilisés pour tracer les mouvements des personnes.
La blockchain (chaine de bloc) qui peut être définie comme une technologie de stockage et de transmission transparente, prend la forme d’une base de données qui a la particularité d’être partagée simultanément avec tous ses utilisateurs et ne dépend d’aucun organe central. Elle peut être considérée comme un livre de comptes partagé, programmable, sécurisé par chiffrement et donc fiable, qu’aucun utilisateur ne peut contrôler à lui seul et qui peut être inspecté par tous. La blockchain est à l’origine de la naissance du Bitcoin.

 

– Dans le domaine de le BIOLOGIE :

En biologie et en particulier dans le domaine de la génétique, les innovations donnent le vertige. Il aura fallu plus de 10 ans et 2,7 milliards de dollars pour mener à bien l’Human Genome Project activé en 2003. Alors qu’un séquençage de génome coutait 200K$ en 2009, aujourd’hui on séquence un génome en quelques heures et pour moins de 1000 dollars. Les scientifiques peuvent tester directement la manière dont une variation génétique donne lieu à l’expression d’une caractéristique ou bien d’une maladie. Le problème qui se pose, est que la capacité à modifier le vivant peut être appliqué à tout type de cellule pour créer des plantes, des animaux génétiquement modifiés mais aussi à modifier des cellules humaines. La science progresse tellement vite que les barrières aujourd’hui sont moins techniques que juridiques, règlementaires et éthiques.

Qu’il me soit permis d’ouvrir une petite parenthèse sur l’innovation que j’ai pleinement évoquée. L’innovation est un processus complexe qui ne va pas de soi. On estime souvent que les institutions universitaires sont à la pointe de l’élaboration d’idées nouvelles. Néanmoins, des éléments récents montrent que, même dans les universités, les perspectives de carrières et surtout les conditions de financement actuelles ne favorisent pas des programmes ambitieux et novateurs. Un antidote au conservatisme universitaire consiste à encourager une recherche appliquée et un partenariat fort entre le public et le privé. Afin d’aller dans ce sens, le gouvernement français, en mettant en place les Initiatives d’Excellence dont 17 universités françaises ont bénéficié, essaye de soutenir fortement des programmes de recherche ambitieux.

Essayons de voir maintenant l’impact de la 4ème révolution industrielle sur les problèmes économiques, sociétaux et culturels. Cette révolution obligera les acteurs à reconnaitre qu’ils font désormais partie d’un système dont le pouvoir est réparti et où la réussite nécessite plus de collaborations et d’interactions.
J’aimerais bien parler de deux sujets qu’impactera grandement la 4ème révolution industrielle : la croissance et l’emploi.
– La croissance :
Les économistes divergent sur la 4ème révolution, ceux que j’appelle les techno-pessimistes affirment que la révolution numérique a apporté déjà l’essentiel de ses contributions et que son impact sur la productivité touche à sa fin. En revanche, pour les techno-optimistes, la technologie et l’innovation se trouvent à un point d’inflexion et vont bientôt déclencher une hausse de la productivité et faire repartir la croissance. Personnellement, étant un farouche optimiste, je penche pour le 2ème cas. Je pense que la 4ème révolution industrielle permet à beaucoup de consommer davantage et à moindre coup, ce qui est un facteur de croissance indéniable. Un autre point important de la croissance est le vieillissement de la population. Le vieillissement constitue un challenge au niveau économique car, à moins de reculer fortement l’âge de la retraite, la part de la population en âge de travailler décroit alors que celle des séniors augmente. Un chiffre pour terminer avec le vieillissement de la population : plus d’un quart des enfants nés aujourd’hui dans les économies avancées devraient atteindre l’âge de 100 ans. Il est donc impératif de définir la population en âge de travailler, les systèmes de retraite et la planification individuelle de la vie. Pour conclure sur ce sujet, je dirais que la 4ème RI a le potentiel, à la fois de stimuler la croissance et de nous aider à affronter certains problèmes majeurs. Il faut néanmoins ne pas oublier les effets négatifs qu’elle aura sur les inégalités, l’emploi et le marché du travail.
– L’emploi :
Ce qui est certain est que la nouvelle révolution technologique provoque des bouleversements sans précédents sur le marché du travail principalement à cause de trois facteurs :la vitesse (tout évolue plus vite que par le passé), l’envergure (multiples changements radicaux et simultanés) et enfin la transformation intégrale des systèmes dans leur ensemble. Au regard de ces facteurs, une seule certitude : les nouvelles technologies transformeront radicalement la nature du travail et ce, tous secteurs et toutes professions confondus. La question fondamentale est de savoir à quel point l’automatisation se substituera au travail humain et combien de temps cela va-t-il prendre ? Deux chercheurs d’Oxford Martin School , Carl Benedict Frey et Mickael Osborn, dans une étude réalisée en 2013, ont fait une liste des professions les plus exposées à l’automatisation qui conclut à la disparition des professionnels de télémarketing et conseillers fiscaux, la disparition des arbitres, juges arbitres et autres officiels sportifs, secrétaires juridiques, la disparition des serveurs et serveuses dans les restaurants, bars et cafés, la disparition des agents immobiliers et de la main d’œuvre agricole, la disparition des secrétaires et assistants administratifs, coursiers et messagers. Heureusement ils ont mentionné aussi les métiers les moins exposés: les travailleurs sociaux en santé mentale et traitement des addictions, les chorégraphes, les médecins et chirurgiens, psychologues, responsables ressources humaines, analystes de systèmes informatiques, anthropologues et archéologues, ingénieurs et architectes, directeurs des ventes et cadres de direction. Cette même étude montre par ailleurs que dans les 20 ans à venir, 47% environ des emplois aux Etats Unis sont menacés. On peut s’attendre donc à une vague de destructions d’emplois bien plus rapide et profonde que par le passé. Il est à remarquer aussi que de nouveaux emplois vont se concentrer dans les métiers intellectuels et créatifs à haut niveau de salaire et dans les emplois manuels faiblement rémunérés. Quant aux emplois routiniers, à un niveau de salaire moyen, ils seront massivement détruits. C’est malheureusement toujours la classe moyenne qui paye !!!

Analysons à présent quelques impacts de la 4ème révolution industrielle sur la société.
– Inégalités hommes-femmes :
Il faut savoir que, d’après le Global Gender Gap Report de 2015, il faudra encore 118 ans avant d’atteindre la parité économique entre hommes et femmes dans le monde. Comment les évolutions technologiques toujours plus rapides de la 4ème RI affecteront le rôle joué par les femmes dans la société ? Si par le passé, le chômage lié à l’automatisation touchait plutôt des secteurs à dominante masculine, comme la fabrication, la construction et le montage, désormais, la capacité croissante de l’IA et l’informatisation des tâches dans le secteur des services menace une large palette d’emplois. Depuis les centres d’appels dans les pays émergents (sources de revenus de nombreuses jeunes femmes, souvent les premières de leurs familles à occuper un emploi salarié) jusqu’aux postes dans le commerce et l’administration, dans les pays développés (secteurs clés pour l’emploi des femmes de la classe moyenne), plusieurs emplois sont menacés.
La RI va générer une demande accrue dans les professions liées à l’informatique, aux mathématiques et à l’ingénierie où, malheureusement, les femmes sont minoritaires, ce qui va aggraver cette inégalité. Heureusement les femmes sont bien mieux représentées dans les domaines de la santé (médecine, biologie) où il y aura une augmentation du recrutement.
– Préservation de l’environnement :
La convergence des mondes physiques, numériques et biologiques qui est au cœur de la 4ème RI ouvre la possibilité d’utiliser les ressources naturelles de façon plus économique et plus efficace. Les projets visant à accélérer l’adoption de l’économie circulaire (écologiquement vertueuse) permettront de diminuer l’impact individuel et collectif sur l’environnement. Nous pouvons espérer même réussir à le régénérer et à le restaurer. Quatre pistes nous permettent d’espérer :
• Avec l’IoT et les objets intelligents, il est désormais possible de suivre le flux de matières et d’énergies pour réaliser des économies importantes tout au long des filières.
• La démocratisation de l’information et la transparence dues aux objets numériques permettent aux citoyens de réclamer des comptes au gouvernement et aux entreprises. Les technologies telles que la blockchain rendront l’information plus fiable, par exemple en captant et en certifiant les données sur le déboisement recueillies par satellite.
• Les nouveaux flux d’informations et la transparence accrue modifieront à grande échelle le comportement des citoyens avec des normes économiques et sociales favorables à un système économique circulaire, un comportement plus vertueux deviendra la ligne de conduite.
• Les véhicules autonomes, l’économie du partage et les nouveaux modèles de leasing ont pour conséquence un meilleur taux d’utilisation des équipements. Ils facilitent par ailleurs grandement la collecte et le recyclage des matériaux en temps voulu.

– Sécurité internationale :
La 4ème RI affectera en profondeur la nature des rapports entre les états ainsi que la sécurité internationale. Le principal danger du monde hyper connecté est l’augmentation des inégalités qui sont causes de ségrégations et d’instabilité sociale, terreau de la violence et de l’extrémisme. Prenons l’exemple de l’état islamique : ce mouvement a pu recruter ses combattants extrémistes dans plus de cent pays et a pu commettre des attentats terroristes dans différentes parties de la planète en grande partie grâce aux réseaux sociaux.
Par ailleurs la cyber guerre représente l’une des menaces les plus grandes de notre temps. Le cyber espace devient tout autant le théâtre d’affrontements qu’autrefois l’espace terrestre, maritime ou aérien. Comme le prouve le dernier conflit entre la Russie et l’Ukraine, tout conflit dans le monde physique comporte une dimension cybernétique car les adversaires ne peuvent résister à la tentation de dérégler, brouiller ou détruire les capteurs et les instruments de communication et de prises de décisions de leurs ennemis (la nombre important de généraux russes tué est certainement dû à l’habilité des techniciens ukrainiens et quelque part aux négligences sécuritaires de l’armée russe. Ces cybers attaques seront portées sur n’importe quel réseau ou objet connecté. Les systèmes militaires ou les infrastructures civiles (sources d’énergies, réseaux électriques, d’eau potable, systèmes de santé ou de régulations de trafic) sont susceptibles d’être piratés ou attaqués. Les spécialistes de la défense avaient coutume de se concentrer sur un nombre limité d’états traditionnellement hostiles. Ils doivent maintenant considérer un univers quasi infini de pirates, terroristes, activistes, criminels et autres ennemis possibles. La cyber guerre peut prendre de multiples formes depuis les actes criminels et l’espionnage jusqu’aux attaques destructives telles que Stuxnet. Stuxnet est un ver informatique conçu par la NSA (National Security Agency) en collaboration avec l’unité israélienne 8200 pour s’attaquer aux centrifugeuses iraniennes d’enrichissement d’uranium. Stuxnet a affecté 45000 systèmes informatiques dont 30000 situés en Iran, y compris les PC des employés de la centrale nucléaire de Bouchehr.
Par ailleurs, la guerre automatisée, notamment le déploiement des robots militaires et d’armements pilotés par IA, ouvre la perspective d’une guerre de robots qui transformera radicalement les conflits à venir. Les fonds marins et l’espace risquent eux aussi d’être de plus en plus militarisés car des acteurs de plus en plus nombreux (étatiques ou privés) ont la capacité de lancer des satellites et d’utiliser des véhicules sous-marins autonomes susceptibles de perturber le fonctionnement des câbles à fibre optique et le trafic satellite.
– L’éthique :
Les innovations suscitées par la 4ème RI des biotechnologies à l’IA nous obligent à réfléchir à l’avenir de l’être humain. Les progrès stupéfiants de la biologie, notamment en génie génétique, doivent t-ils servir uniquement à guérir maladies et blessures ou bien aussi à améliorer l’espèce humaine ? Les enfants de nos petit enfants deviendront-ils les objets de leur désir, fabriqués sur mesure ? Que signifie améliorer ? Est-ce se libérer des maladies, vivre plus longtemps, devenir plus intelligent, courir plus rapidement, avoir une certaine physionomie ?
L’intelligence artificielle nous confronte à des questions tout aussi complexes : imaginez une machine qui devance nos pensées, voire les dépasse. Amazon et NETFLIX sont déjà équipés d’algorithmes qui prévoient les livres et les films que nous pourrions aimer. Que faire ? Devons-nous suivre les conseils d’un algorithme ou bien faire confiance aux suggestions de notre famille, de nos amis, de nos collègues ? Ferions-nous plus confiance à un robot médical équipé d’un système d’IA qui établira un diagnostic quasi infaillible ou resterons-nous fidèles au médecin humain qui nous a soignés pendant des années ?
Une autre question fondamentale concerne la capacité prédictive de l’IA et de l’apprentissage automatique. Si notre comportement devient prévisible en toutes circonstances, quelle marge de liberté aurons-nous ? Ne risquons-nous pas d’évoluer vers une situation dans laquelle les êtres humains eux-mêmes commenceront à agir comme des robots ou tout au moins devenir la pierre dont parle Spinoza dans « L’Ethique « ?
Mesdames, Messieurs,
Puisqu’il me reste encore quelques minutes, je voudrais vous faire part des mutations probables dues à cette révolution industrielle et leurs points de bascule, à savoir le moment où une mutation technologique atteint la société dans son ensemble.
Je ne vous parlerai pas de science fiction mais de la prévision des 800 meilleurs spécialistes interrogés dans une étude du World Economic Forum. Ils ont listé 23 mutations possibles dont 12 ont eu l’assentiment de plus de 80% d’entre eux. Je n’étudierai ce soir que trois d’entre elles en vous indiquant leurs impacts positifs et négatifs.
– Les technologies implantables : point de bascule, premier téléphone implantable commercialisé

Les gens sont de plus en plus connectés à leur appareil et ces appareils de plus en plus connectés à leur corps. Non seulement portés, ils sont aussi implantés dans l’organisme. Les pacemakers et les implants cochléaires n’étaient que la première étape. De nouveaux implants sont lancés en permanence. Ils deviendront capables d’évaluer les paramètres des maladies, permettront à chacun de prendre les mesures nécessaires, enverront les données aux centres de suivis et pourront même administrer automatiquement les médicaments. Des puces électroniques implantées pourront aider à identifier et localiser les personnes.
Impacts positifs :
– Diminution des disparitions d’enfants
– Meilleurs résultats sanitaires
– Autonomie accrue
– Meilleure prise de décisions
Impacts négatifs :
– Confidentialité et risques de surveillance
– Baisse de la sécurité des données
Impacts inconnus ou à double tranchant :
– Allongement de la durée de la vie
– Modification des interactions et des relations humaines
– Identification en temps réel

– Notre présence numérique : point de bascule, 80% des personnes ont une identité numérique sur internet.

Aujourd’hui nous sommes à 62,5% de la population mondiale qui est connectée. L’identité numérique a évolué rapidement au cours des dernières années. Il n’y a pas longtemps, cela signifiait avoir un numéro de téléphone portable, une adresse email et rarement un site web personnel. Aujourd’hui, notre présence numérique se manifeste par nos interactions et laisse sa trace sur une multitude de plateformes et de médias en ligne.
Beaucoup de personnes sont présentes sur plusieurs réseaux et possèdent, par exemple, une page Facebook (il faut savoir que la population active sur Facebook est plus que le double de la population de la Chine ou de l’Inde, à savoir 2850 millions d’individus), un compte TWITTER, un profil LinkedIn, un compte Instagram et bien d’autres pages. Aujourd’hui, la vie numérique d’une personne devient inextricablement liée à sa vie physique.
Impacts positifs :
– Transparence accrue
– Interconnexion accrue et plus rapide entre les individus et les groupes
– Extension de la liberté d’expression
Impacts négatifs :
– Vol d’identité plus fréquent
– Harcèlement et chantage en ligne
– Propagation d’informations inexactes, fausses rumeurs

Impacts inconnus ou à double tranchant :
– Empreinte numérique
– Publicité mieux ciblée
– Profilage individuel
– Identité permanente (aucun anonymat)
– Facilités pour lancer un mouvement social en ligne (groupes politiques, de pression, de loisirs mais aussi groupements terroristes)

– La vision, nouvelle interface : point de bascule, 10% des lunettes de vue connectées à internet

Parlons déjà de l’existant : la société OPPO, avec ses Air Glass, produit des lunettes qui affichent la traduction en temps réel.
Facebook Ray Ban qui donne la possibilité de filmer ou de photographier son interlocuteur.
La société FAUNA, avec ses audio glasses, charge les lunettes chaque fois que vous les remettez dans leur étui.
Je ne peux pas, à ce point, ne pas parler du Meta verse (métavers) qui est un monde virtuel ou l’on peut se balader en permanence grâce à son avatar.
L’avatar dont il est question ici ne désigne pas les différentes incarnations de Vishnou mais la représentation informatique d’un internaute, son alter ego numérique.
Impacts positifs :
– Information immédiate donnée à l’individu pour lui permettre de prendre des décisions rationnelles aussi bien pour son travail que pour ses activités personnelles.
– Amélioration de la capacité d’exécuter des tâches, de produire des biens, de fournir des services avec un guide visuel.
– Possibilités pour les handicapés de contrôler leurs interactions et leurs mouvements et de dialoguer avec le monde à travers la parole, un clavier etc…
Impacts négatifs :
– Déconcentration, diversion de l’attention provoquant des accidents
– Traumatisme dû à des expériences immersives négatives
– Addictions et évasions accrues

Impacts inconnus ou à double tranchant :
– Création d’un nouveau segment dans l’industrie du divertissement
– Augmentation de l’information immédiate

Mesdames, Messieurs,
J’espère que ce petit voyage dans le monde digital vous a intéressé et je serais heureux de répondre à vos questions éventuelles durant le diner.
Merci

Nesim Fintz Le 25 août 2022